Le capteur était vivant
2 septembre 2009
Et c’est à ce moment là que je me suis rendu compte qu’il y avait une potentialité. Je n’en connaissais pas encore sa nature ; artistique, technique ou expérimentale. Qu’importe, cette photo allait devenir un projet.
L’image a été prise pendant un mariage, vingt secondes de pose et une sensibilité de 800 ISO. Je m’éclipsais de la soirée, de cette piste de danse qui avait fait transpirer mon corps. J’étais le photographe officiel et après presque dix heures non-stop de prise de vue, mon esprit était en manque de repos, d’air frais et surtout, de tranquillité.
Les photos attendues par les mariés, les inévitables de la photographie de mariage avaient été assurés. Me voilà libre !
Je quitte donc cette grande tente blanche dans laquelle les jeunes dansaient et les vieux regardaient.
Il y’a une telle effervescence dans ce genre d’événements qu’un petit moment de calme comme celui-ci amène naturellement vers une déconnexion lente de l’instant présent et on plane dans une douce tranquillité d’âme. Chaque pensée semble venir d’une longue et profonde réflexion.
Je pose mon appareil dans l’herbe, tout est en manuel. Ce seront ces loupiotes illuminant l’allée amenant au château qui constitueront le centre de ma composition. Clic. 20 secondes. Clac.
Le miroir se rabat. Quelques semaines plus tard c’est en triant les milliers de photos du mariage que je découvre cet OVNI : une photographie sortie de nulle part au lien céleste assez évident. Pourtant, rien de tout ça n’était conscient à la prise de vue.
L’appareil photographique avait fonctionné toute la journée, le capteur était chaud et les 800 ISO de sa sensibilité avaient généré du bruit et des traînées sur l’image. Les défauts devenaient le sujet. Un deuxième auteur était intervenu. Le capteur lui-même était vivant. Il avait interprété cette lumière qui arrivait. Lui, simple composant électronique voulait partager la paternité du cliché car il y avait participé.
Par ces amas de pixels, irréguliers mais esthétiques, il nous laissait une signature, irreproductible.
Le dispositif numérique, las des déconsidérations que lui infligent les puristes depuis une dizaine d’années s’était rebellé. Timide, discret, il n’avait osé s’affirmer. Cette photo-là faisait office de revendication.
Oui, il était là. Oui, il existait et désormais, nous serons obligés de composer avec car il s’exprime et voici son œuvre.