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Lorsque notre pays nous conditionne dans l’appréciation d’une image

12 octobre 2009

English version available : read the translation by Joanna Carter

Du retour du stage de photographie grand format que j’ai suivi ces trois derniers jours à Pleudihen, j’ai pris conscience d’une information importante dans l’appréciation d’une image : la nationalité ou la culture du lecteur.

Le stage était animé par Joanna Carter, une photographe anglaise de paysage.

Depuis quelques années, la photographie de paysage ne m’intéresse plus vraiment, trop graphique et manquant de prise de risque à mon goût.

Etonnamment, cet avis était partagé par d’autres stagiaires, comme moi français.

C’est là où réside l’intérêt de ce stage car, avec l’aide de certains participants, de Joanna et de son amie anglaise, j’ai pu apprécier la simplicité de ces images.

L’ « école anglaise » du paysage photographique est très classique. Vous ne trouverez pas d’images choc dans ce patrimoine, juste des images qui ne s’inscrivent pas dans une série mais dont la beauté devient le sujet essentiel.

Les photos ne sont pas très contrastées et la subtilité du traitement au tirage – argentique ou numérique – fait partie intégrante des codes de cette école d’Outre-Manche.

Les paysages de Jem Southam par exemple, au contraste raisonnable profitent d’ombres bien détaillées et pas complètement noires.

Helen, l’amie de Joanna, me montre photo à l’appui ses différences culturelles. On était en train de traiter une photo sur Photoshop : l’horizon, un viaduc, des arbres autour et une rivière se frayant un chemin entre les plantes et les cailloux du sol.

Le tirage numérique était presque terminé pour moi. L’image rendait plutôt bien mais quelque chose me dérangeait dans le sol avec les plantes. Je trouvais ça trop fade, manquant légèrement de contraste et pas assez dense (sombre).

Pour les deux anglaises, la photo est finie et il n’y avait rien à modifier. J’explique mon insatisfaction, elles m’expliquent leur satisfaction et c’est à ce moment qu’Helen me fait comprendre ses différences de vision pour un univers commun : la photographie.

Les Français aiment tirer leur photo de manière très contrastée, avec des noirs et gris foncés extrêmement denses : « It has to be Art » dit Joanna avec une pointe d’ironie en parlant de l’école française. Elles feuillettent le magazine Réponses Photo du mois dernier et effectivement, d’un coup ça me saute aux yeux.

Le tirage est une question de dosage c’est-à-dire de bon goût. Force est de constater  que les Français ont la main lourde !

Une image avec des écarts entre les hautes lumières et les zones d’ombres trop marqués tombe rapidement dans le vulgaire. Mais, plus grave, elle en devient figée. Les lignes sont renforcées, les bordures s’élargissent et l’œil a du mal à naviguer à l’intérieur.

En regardant à nouveau l’image que nous étions en train de tirer sur le viaduc paraît bien équilibrée, fine, beaucoup plus subtile que ma proposition initiale.

On peut la regarder plusieurs fois en découvrant à chaque lecture quelque chose de nouveau. Quelques part, un dosage raisonnable au tirage augmente le nombre de niveaux de lecture d’une image.

Ce qui fait un peu peur dans cette expérience, c’est qu’entre le vendredi du début du stage et le dimanche, la photo insipide et fade du vendredi est devenue la photo subtile et élégante du dimanche. A contrario, l’image contrastée que j’aurais appréciée en début de stage tombe, dans mon esprit, dans la vulgarité et le mauvais goût à la fin des trois jours.

Une même photo, deux opinions différentes à trois jours d’intervalle.

Même si mon discours semble peu nuancé, les deux versions différentes de cette photo, en fonction des réglages au tirage, sont malgré tout « bonnes ». La différence est légère mais est représentative d’une culture visuelle spécifique à chaque pays.

En guise de conclusion, je citerai Jean-Lou Sieff qui a trouvé la solution à ces interrogations existentielles : « Je propose, sans grand espoir d’être suivi, de classer les photographies en deux grandes familles : les bonnes et les mauvaises ! ».

Mur, rue Montmartre, Paris.

Mur, rue Montmartre, Paris.

ENGLISH VERSION
Translation by Joanna Carter
After returning from the large format workshop, which I I attended for these past three days in Pleudihen, I have become aware of some important information about the appreciation of an image: the nationality or the culture of the person viewing it. 

The workshop was led by Joanna Carter, an English landscape photographer.

For several years, landscape photography didn’t really interest me, too pictorial and missing that element of risk for my taste.

Surprisingly, this point of view was shared by other attendees, who were French like me.

And it is there that lies the interest of this workshop because, with the help of certain participants, of Joanna and her English friend, I have been able to appreciate the simplicity of these images.

The « English School » of landscape photography is very classical. You will not find images that shock in this heritage, only images that do not belong to a series but, in which, beauty becomes the underlying subject.

The photographs are not very contrasty and the subtlety, from processing to printing – whether silver or digital – becomes an integral part of the codes of this school from the other side of the Channel.

The landscapes of Jem Southam for example, with a gentle contrast, benefit from well detailed shadows that are not completely dark.

Helen, Joanna’s friend, showed me photos that supported these cultural differences. We were in the process of preparing a photo in Photoshop: the horizon, a viaduct, some surrounding trees and a river cutting a path between the plants and the stones on the ground.

To my mind, the digital print was almost complete. Overall, the image looked good but something was disturbing me about the plants on the ground. I felt that this area was too bland, lacking slightly in contrast and not dark enough.

For the two English women, the photo was finished and there was nothing more to change. I explained my dissatisfaction to them, they explained their satisfaction to me and it was at this moment that Helen helped me to understand the differences of vision in a common universe: the photograph.

The French like to print their photos with a lot of contrast, with strong blacks and extremely dense greys : « It has to be art » said Joanna with a hint of irony, talking of the French school. Helen leafed through the previous month’s edition of the Réponses Photo magazine and, effectively, in a flash it hit me between the eyes.

Printing is a question of proportion, that is to say, of good taste. It has to be stated that the French have a heavy hand!

An image with too marked a variation between the highlights and the shadows falls rapidly into the vulgar. But, more seriously, it becomes rigid. The lines are strengthened, the edges are widened and the eye has trouble in finding its way around.

In looking again at the image that we were in the process of printing, the viaduct was well balanced, delicate, much more subtle than my initial ideas.

You could look at it several times and discover, at each look, something new. In places, a moderate weight to the print augmented the ways in which the print could be viewed.

That which made me a little afraid in this experience was that, between the beginning of the workshop and the Sunday, Friday’s insipid and bland photo had become Sunday’s subtle and elegant photo. On the other hand, the contrasty image that I would have appreciated at the start of the workshop had fallen, in my mind, into vulgarity and bad taste at the end of the three days.

One single photo, two different opinions separated by three days.

Even if my discourse seems a little qualified, the two different versions of this photo, by adjusting the printing, are both « good ». The difference is slight but is representative of a visual culture specific to each country.

In a manner of conclusion, I will cite Jean-Lou Sieff who has found the solution to these existential questionings: « I suggest, without great hope of being respected, to classify photographs in two large families: the good and the bad! »

Mur, rue Montmartre, Paris.

Mur, rue Montmartre, Paris.