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Du déni à l’appréciation… de la mode et de l’art !

5 septembre 2010

Allez, introduisons cet article par deux courts extraits vidéos tirés du film The September Issue.

Anna Wintour, rédactrice en chef de VOGUE, évoque dans la première séquence le milieu de la mode, non sans une petite fierté délicieuse à être spectatrice et actrice majeure de cette sphère. Dans le second extrait, le cadre n’a pas pas changé. Même personne. Même film. Mais le discours est autre, il est emprunt de souffrance du à l’incompréhension, sinon au mépris de son entourage pour son métier et son monde. Sa famille s’arrête au strass et aux paillettes.


Anna Wintour about fashion sphere


Anna Wintour about her family circle

Il existe une cruauté dans le déni et le mépris. Une cruauté-bulldozer qui n’a pas l’élégance de comprendre ce qu’elle écrase. Ces filles écervelées qui défilent avec des visons sur un podium entouré de groupies, de chipies et pseudo-journalistes de mode trendy, cette peinture immensément blanche tâchée d’un minuscule carré rouge en son centre alors que le commissaire d’exposition au vernissage agrémente son discours de superlatifs aussi abscons que le dernier mot que je viens d’employer, ce film d’auteur qui fait fuir la moitié de la salle et qui obtient la Palme d’Or et l’approbation unanime de toute la critique presse.

Au début je trouvais ça ridicule, vraiment. Maintenant, je revois ce premier jugement, celui du déni de la mode et de certaines œuvres d’art. Jean-François Zygel parlait en des termes similaires en présentant un nouvel épisode de La boîte à musique sur l’Opéra  :

Quand j’étais petit, ça ne me disait pas grand chose l’opéra. Je trouvais même ça passablement ridicule, ces grosses dames qui chantaient avec des airs convaincus, un peu héroïques et puis avec des robes franchement pas possibles.

Non, c’est plus tard, que je me suis rendu compte qu’il se jouait là quelque chose d’important. Et puis, ça fait plus de trois siècles qu’on écrit des opéras, que tout le monde continue à aller voir cela alors, il doit y avoir quelque chose, quelque chose d’important dans cette histoire d’opéra.

Avec le temps, en m’y intéressant légèrement plus, je me suis rendu compte qu’il y a dans la mode plus de profondeur que ce que l’œil du profane pourrait y voir. C’est un monde léger, coloré et qui s’amuse, à l’image des robes de Lady Gaga conçues par Jean-Charles de Castelbajac. C’est un monde qui travaille, énormément, sans cesse, toujours sur la brèche, toujours porté vers l’avenir. La mode est ancrée dans le contemporain et est donc connectée au monde en permanence. Et puis ce qu’il me plaît le plus et qui est une qualité partagée avec les compositeurs de hip-hop, les « modeux » sont curieux : ils s’intéressent à tout, leur culture est certes superficielle mais s’étend à l’ensemble des styles musicaux, aux modes de vie des gens, au design, à l’art.

La mode est profondément liée à la société et dicte bien des comportements sociaux ! L’appartenance à un groupe social implique une certaine tenue vestimentaire. Que l’on s’intéresse ou non aux vêtements, on ne peut nier l’importance de ces bouts de tissus sociologiquement parlant. Tout n’est donc pas futile dans la mode (et quand bien même, ce n’est pas grave) et les détails auxquels elle semble s’attarder n’en sont pas !

Voici un extrait du génialissime Randall White, spécialiste de l’art et de la parure du Paléolithique supérieur européen, il est professeur d’anthropologie à l’université de New York (NYE) ; cet extrait provient de l’article Un Big Bang socioculturel paru dans La Recherche :

Prenons un exemple : un anneau porté au nombril renvoie à des associations métaphoriques complètement différentes d’un anneau porté à l’annulaire de la main gauche. En outre, l’évocation ne sera pas la même selon le matériau, or, platine ou cuivre. De même qu’une lettre écrite sur du papier vergé à en-tête, imprimé en relief, sera plus solennelle que si elle est écrite sur du papier ordinaire. Pourtant il n’y a aucune signification inhérente à l’or, au papier vergé, à l’annulaire de la main gauche, ni même à la forme circulaire. Les symboles sont en fait représentés sous des formes matérielles culturellement convenues, dont le sens subjectif échappe aux individus d’une culture différente.

Du « sens subjectif » qui échappe à certaines personnes au « sens du beau » ou « sens artistique », il n’y a qu’un pas ! La culture dans l’appréciation d’une œuvre est donc primordiale, de même que le palet d’un œnologue s’éduque pour apprécier tous les parfums d’un bon vin ! C’est ainsi qu’après la lecture de livres sur l’art, la présence à des conférences sur des domaines que je ne connaissais pas et l’intérêt de l’ignare en mode que je suis pour ce milieu, je suis passé du déni à l’appréciation.

DÉNIER

Refuser (le plus souvent injustement) d’accorder que quelqu’un possède ou puisse posséder telle qualité, tel droit.

APPRÉCIER

Porter un jugement favorable sur une personne ou une chose, en reconnaître la valeur, la qualité, l’importance.

La société fonctionne avec des sphères sociales :  les artistes, les agents immobiliers, les informaticiens, les journalistes, les commerciaux, …etc. Chaque sphère a une part d’invisible et il est frustrant pour leurs acteurs de ses sphères, sinon blessant, que cette part soit déconsidérée par autrui.  Les sphères sociales sont différentes, s’entrecroisent rarement, s’observent et se jugent. Il en résulte une vision biaisée et bien souvent peu flatteuse de ce que l’on ne connait pas. L’ignorance doublée d’un manque d’ouverture d’esprit nous amènent à dénigrer certains milieux.

Dans mon ancienne vie, je ne comprenais pas que mes parents ne me comprennent pas ! Je passais des nuits entières à développer des logiciels informatiques et j’étais fier de la manière avec laquelle je réalisais ces programmes. Lorsque je présentais le produit fini, j’aurais voulu que l’on s’intéresse à l’envers du décor, à la beauté de telle ou telle partie du programme et je ressentais les remarques superficielles, sur ce que l’on voit, comme un véritable déshonneur face à mon travail. L’histoire se suit et se répète lorsque je fais une photographie et que la seule question qu’on va me poser porte sur l’appareil photo utilisé ou et le diaphragme employé !

Mais je ne peux pas en vouloir à mes congénères, je suis exactement comme eux ! Je suis le premier à poser des questions sans intérêt réel dans l’approche et la réalisation d’un travail.

On retrouve là peut-être l’essence même de ce qu’est un artiste : une manière de faire les choses impossible à décrire car trop dans le ressenti, la sensation et une singularité dans l’action et le geste que l’on ne peut verbaliser. Au fond, on pourrait se dire qu’importe ce que pense Stravinski, ce que  ressent Rubens, leur œuvre est le meilleur reflet de la profondeur et l’élégance de leur esprit. Le fond d’un artiste est impénétrable et c’est ce qui le rend hors normes, magique dans une certaine mesure. La nature de l’esprit est la signature du créateur. Le pinceau suit la main, dirigée par le cerveau. Comme le disait Léonard de Vinci au sujet de la peinture, l’art est une « cosa mentale ».

Si les méandres de la pensée de l’artiste sont impénétrables, il peut en être autant de son œuvre finie !

Le duo d’artistes Lernert & Sander est parti du constat qu’il est difficile d’expliquer à ses parents son travail artistique (au sens où ce n’est pas une large fumisterie et juste du grand n’importe quoi !) pour réaliser une série de documentaires vidéos intitulée How To Explain It To My Parents où des artistes plus ou moins connus, plus ou moins jeunes, s’assoient avec leurs parents autour d’une table et tentent d’expliquer leur démarche et leur activité. Le résultat est touchant, vrai et assez emblématique des deux sphères qui se voient sans se comprendre. Cette confrontation d’opinion s’étend bien au-delà du cercle familial.

Grâce à une ouverture sur le monde, à un intérêt de l’inconnu et l’extension de sa culture personnelle, on peut apprécier ce que l’on déniait auparavant et revoir sa position. En art, la richesse et la multiplicité des niveaux de lecture d’une œuvre font que ces révisions sont permanentes. Un jour cette œuvre sera un chef d’œuvre, le jour suivant elle sera une imposture. Les approches sont tellement différentes que l’évaluation d’une œuvre est un rubik’s cube pour n’importe quel amateur d’art et a fortiori pour le critique.

Beaucoup d’œuvres d’art, surtout maintenant, sont inaccessibles. Elles présupposent une culture qui officiera comme un éveil. Mais, si avoir le bagage nécessaire pour recevoir mentalement une œuvre d’art est une chose, pouvoir déterminer si cette peinture ou cette photographie relève du pipeau intégral ou d’un véritable chef d’œuvre est une autre affaire !

J’ai dans ma « boîte à chaussures virtuelle » un schéma que je présenterai dans un prochain article permettant d’évaluer une œuvre et de comprendre la versatilité permanente d’un bon critique d’art.

En attendant, je vous laisse découvrir les peintures de l’artiste Roat Romano Chocalescu (!) et aussi, pour le plaisir, la bande-annonce du film Musée Haut, Musée Bas de Jean-Michel Ribes.

Roat Romano Choucalescu, un « destructureur d’intemporalité »

Bande-annonce de Musée Haut, Musée Bas


En savoir plus

Pyrénées espagnoles. Août 2010. Photo : Jean-Romain Pac.

Pyrénées espagnoles. Août 2010. Photo : Jean-Romain Pac.