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Le grand enfant qui dirigeait le monde

1 novembre 2010

« The Social Network » est un film de David Fincher, sorti en salle le 13 octobre dernier. Il relate l’épopée de Facebook au travers des relations sentimentale, d’amitié et d’influence qu’entretient son créateur Mark Zuckerberg avec son entourage.

Affiche du film "The Social Network" de David Fincher

Affiche du film "The Social Network" de David Fincher

Le film en lui-même est honnête, c’est du David Fincher bien rôdé : réalisation impeccable, scénario sans failles, rythme soutenu sans pour autant être un M:i:III et la photographie est correcte bien qu’un peu en deçà par rapport au reste (trop emprunte aux codes des séries TV). Ne vous trompez pas, le sujet de The Social Network n’est pas Facebook, l’intérêt est ailleurs : dans l’aspect social et la révélation en filigrane d’un monde qui change d’un point de vue anthropologique.

Il y a encore quelques décennies, pour être en haut de la pyramide sociale il fallait avoir de l’expérience dans les relations humaines, un charisme certain, une aisance rhétorique ; en somme, il s’agissait d’être un Alpha-Mâle intellectuel (l’article anglais est plus fourni). La vision autre de ce postulat que propose dans ce film le scénariste Aaron Sorkin n’est pas une libre interprétation personnelle du monde actuel mais un fait : les codes sociaux sont en totale mutation.

Le film de Fincher n’est pas un documentaire mais il relate malgré tout la vie réelle du créateur de Facebook. Zuckerberg est en deuxième année à Harvard et sa petite amie de l’époque, excédée par son arrogance le quitte. Il boit de l’alcool pour faire passer la nouvelle et la même nuit se venge en créant Facemash, site web où les étudiants d’Harvard votent pour la fille la plus sexy du campus. Quelques mois plus tard, il reprend une partie du principe communautaire de Facemash et développe Facebook. Alors qu’il n’a que 20 ans, le site est lancé. Trois ans plus tard, il devient le plus jeune milliardaire de la planète.

Ce qui est fou et frappant, c’est comment un simple étudiant en informatique, presque autiste, mené par une motivation puérile initiale devienne l’une des personnes les plus influentes du monde. C’est fascinant et inquiétant. Fascinant car Mark Zuckerberg est un grand enfant, avec tout ce que ça implique. Un enfant ne voit pas le profit (Zuckerberg avait d’ailleurs créée Synapse quelques temps plus tôt, un logiciel qui détecte vos goûts musicaux et l’avait diffusé gratuitement sur la toile malgré des propositions d’achat par Microsoft et AOL), s’intéresse souvent à des choses nobles car simples et ne connait pas les codes sociaux du monde des adultes. Il s’affranchit donc automatiquement du poids de la responsabilité. Inquiétant car un enfant peut donc agir sans avoir la notion des conséquences de ses actes. Dans mon ancien métier d’informaticien, beaucoup de personnes très fortes techniquement étaient coupées du monde réel et ne voyaient pas les graves implications pour le coup loin d’être virtuelles de certaines de leurs actions.

Internet est encore un circuit parallèle. On peut arriver en haut sans passer par le circuit traditionnel. La voie normale, c’est encaisser les claques imagées délivrées par ses supérieurs pour nos erreurs de jeunesse – celles qui révèlent une vision étriquée du fonctionnement d’une société -, c’est se confronter à la complexité d’un marché, quel qu’il soit, c’est comprendre les réseaux d’influences, l’importance des aptitudes politiques dans l’ascension hiérarchique et surtout, calmer ses ardeurs de jeune loup prétentieux en emmagasinant un minimum d’humilité et de sagesse, la dernière qualité étant indissociable d’un poste à responsabilité.

Lorsque que Mark Zuckerberg est devenu le plus jeune milliardaire au monde, de par l’aspect financier, il bascule de fait dans le monde réel et celui des grands dirigeants. Sa parole porte et sa moindre décision peut être un raz-de-marée si elle porte sur un sujet sensible. Quelles seront les conséquences de ce genre de situation ? Larry Page et Sergei Brin de Google ont l’air de plutôt bien gérer leur affaire quant à eux. Ils sont accompagnés d’Eric Schmidt formant le fameux triumvirat qui a fait la force du moteur de recherche mais ils me semblent bien plus matures que Mark.

Pour revenir à l’aspect social, ce qu’il faut retenir de cette histoire c’est que ce sont les simples capacités intellectuelles du créateur de Facebook qui l’ont amené à cette situation. Il a bien évidemment fait les bons choix, a mis en œuvre rapidement de bonnes idées mais il est un handicapé social et ça, c’est une donnée assez nouvelle me semble-t-il.

Les grandes têtes dénuées d’une certaine virilité sociale ont rarement accédé à de telles sphères. Plus l’être humain évolue, moins l’aspect physique importe. L’encéphale devient la carte de visite. Lorsque je vois des jeunes qui ont un intellect très développé mais évoluent dans un cercle assez fermé, limitant par là même les possibilités de confrontation sociale et donc d’apprentissage de la vie en communauté (une société !), je me dis que mon opinion est passéiste et qu’un jour les « no life » dirigeront le monde ! Je ne sais pas si c’est triste ou heureux.

Quelque part, il y a un paradoxe. Lorsqu’un animal s’élève mentalement, les codes sociaux deviennent plus importants. Ce n’est pas le plus beau ou le plus fort qui domine mais le fin stratège, celui qui use de son cerveau pour se positionner dans la société. Dès lors, les qualités que le groupe reconnaîtra auprès de celui qui dirige porteront inconsciemment sur cette capacité à communiquer intelligemment avec les autres, à persuader, plaire, assurer, affirmer. Aujourd’hui, le crédit donné à l’intellect dans les sociétés dites développées croît de jours en jours (malgré une ouverture – mais est-ce un effet de mode ? – vers plus d’écoute de son corps et de son esprit) et la brusque arrivée du monde virtuel dans nos vies, depuis quelques dizaines d’années est en train de balayer toute cette culture de l’importance des codes sociaux, au profit de facultés d’analyse et de réflexion seules.

Place des Victoires à Paris. Octobre 2010. Chambre 4x5". Photo : Jean-Romain Pac.

Place des Victoires à Paris. Octobre 2010. Chambre 4x5". Photo : Jean-Romain Pac.