La nuit américaine de la porte Saint-Martin
26 août 2012
Un tournage de film se préparait à la terrasse du café d’en face. Tout en m’extirpant de la torpeur matinale de début d’après-midi, propre aux réveils tardifs, je déjeunais dans une brasserie anonyme et observais l’assistante tenir la caméra dans ses bras, comme un bébé. Les deux autres membres de l’équipe-image installaient l’imposant trépied. Les tables et les chaises du café étaient disposées avec minutie pour améliorer la justesse du décor, déjà naturel. Peu après, les deux actrices sortirent du café, probablement reconverti en loge, et jouaient leurs propres doublures pour les premiers essais de cadre. Les passants regardaient avec attention mais furtivement et sans ralentir leur pas ; on arrête difficilement la course soutenue d’un urbain à Paris.
Pourtant, cet homme américain s’était stoppé à la vue du spectacle et avait dégainé son téléphone portable pour prendre une photo. Il recula pour avoir plus de champ et s’assura que l’ensemble de la scène tienne en une seule image. Il recula tellement qu’il se trouvait en quelques pas sur la terrasse opposée au tournage, celle où je continuais à piquer ma fourchette dans une salade Cobb assez quelconque. Manifestement, le spectacle le captivait tout autant que moi puisqu’il s’installa juste à ma gauche et commanda une bière. À n’en pas douter il se délectait du filage de cette pièce de théâtre in situ qui s’ignorait où le jeu des acteurs, l’équipe du film, était forcément exempt de toute fausse note puisqu’elle ne jouait pas. Quelle plus opportune coïncidence que ces deux clientes à deux tables de la mienne discutant de la lumière et de la mise en scène d’une future adaptation au théâtre des Misérables. En cet instant, la rue René Boulanger s’était transformée bien malgré elle en un remake de La Nuit Américaine de François Truffaut.
Être au repos et regarder des gens ne pas l’être. Tel est l’état de plaisir remontant à l’origine de l’humanité et dont le concept se nomme spectacle.